Je t’ai dit :
— Écoute le silence sous les colères flamboyantes
La voix de l’Afrique planant au-dessus de la rage des canons
longs
La voix de ton cœur de ton sang, écoute-la sous le délire
de ta tête de tes cris.
Est-ce sa faute si Dieu lui a demandé les prémices de ses
moissons
Les plus beaux épis et les plus beaux corps élus patiemment
parmi mille peuples ?
Est-ce sa faute si Dieu fait de ses fils les verges à châtier
la superbe des nations ?
Écoute sa voix bleue dans l’air lavé de haine, vois le sacri-
ficateur verser les libations au pied du tumulus.
Elle proclame le grand émoi qui fait trembler les corps aux
souffles chauds d’Avril
Elle proclame l’attente amoureuse du renouveau dans la
fièvre de ce printemps
La vie qui fait vagir deux enfants nouveau-nés au bord
d’un tombeau cave.
Elle dit ton baiser plus fort que la haine et la mort.
Je vois au fond de tes yeux troubles la lumière étale de l’Été
Je respire entre tes collines l’ivresse douce des moissons.
Ah ! cette rosée de lumière aux ailes frémissantes de tes
narines !
Et ta bouche est comme un bourgeon qui se gonfle au soleil
Et comme une rose couleur de vin vieux qui va s’épanouir
au chant de tes lèvres.
Écoute le message, mon amie sombre au talon rose.
J’entends ton cœur d’ambre qui germe dans le silence et
le Printemps.
Paris, avril 1944.
« Chant de printemps » in Œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, Éditions du Seuil, 1964, 2006, et Points, 2006.
Avec l’aimable autorisation des Éditions du Seuil